En 2021, les arcanes majeurs du Tarot ont commencé l’année en défilant pour la Maison Dior dans un court métrage sublime Le Château du Tarot signé Mateo Garrone et tourné dans le château de Sammezzano pour la collection printemps-été 2021.
C’était le choix de Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la maison, qui voulait sublimer l’art divinatoire. D’abord en hommage à Christian Dior qui, tout au long de sa vie, consulta des voyantes et disait : « Le trait le plus important de ma vie – je serais à la fois ingrat et mensonger si je ne le reconnaissais pas immédiatement – a été ma chance ; et je dois aussi reconnaître ma dette envers les voyants qui l’ont prédite. »
Ensuite, parce que durant le premier confinement, la directrice artistique de Dior avait décidé d’approfondir sa connaissance du tarot, en lisant notamment Le Château des destins croisés, roman d’Italo Cavino.
Enfin, parce que l’isolement pandémique et la solitude l’auraient amenée à se tourner vers ce chemin de connaissance.
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que l’impératrice dessinée par Alika Lindbergh pour notre Tarot de L’Eden avait peut-être influencé la création de cette robe !…
Dior©Archimède L'Impératrice Tarot de l'Eden
Indépendamment de cette petite fierté, je faillis pleurer d’émotion en voyant pour la première fois les lames majeures, aussi belles et bien habillées. Un peu de luxe devait les changer.
Depuis des siècles que les arcanes se cachaient, accusés de fautes qu’ils n’avaient pas commises, traversant l’espace et le temps, éternels errants, objet de fantasmes sur leurs origines, causant d’infinies querelles sur leur forme première et authentique…
« 22 arcanes, 22 merveilles : l’égrégore qui revient de loin. » C’est de cette façon que je pense aux 22 lames majeures, chaque fois que je les touche.
Ne pas avoir de date de naissance ni de parents, pas davantage de nationalité devait forcément leur avoir causé des problèmes…
Orphelines et sans passeport… Comment avaient-elles pu résister ?
La première fois que j’ai tenu dans mes mains un Tarot de Marseille, j’ai ressenti un choc électrique. J’ai compris qu’à cause de son histoire, il était capable de mener en bateau ceux qui ne le respectaient pas. Je me suis dit « fais attention ».
Aujourd’hui, j’ai passé tant d’heures, un Tarot entre les mains, que je connais son poids exact. Si deux cartes manquent, je le sens.
À l’époque où je l’ai rencontré, personne ne savait d’où il venait.
Les choses ont changé, nous y reviendront.
Mais la connaissance de son origine n’expliquera jamais « comment il marche ». Bien que supposés appartenir à des registres différents, les usages, psychologiques ou divinatoires, du Tarot posent le même problème rationnel : les cartes étant tirées face cachée, quelle est la part de notre conscience qui dirige notre main vers celles qui nous révèleront des aspects de notre vie intérieure ou répondront à nos questions sur le futur ?…
À la question « comment ça marche ? », j’ai d’abord imaginé répondre qu’une part de la conscience se dirigeait vers les symboles, car elle visualisait les lames intuitivement. Au fil du temps, j’ai acquis la conviction que chacun des 22 arcanes majeurs constituait le 1/22e d’un égrégore gigantesque, nourri des échanges de millions de personnes, qui, dans le monde, en interrogeant les cartes, créaient avec elles un dialogue dont les traces invisibles formaient une sorte de « data » composé de milliards d’allées et venues d’informations. Je crois que les lames sont devenues des énergies vivantes.
Invisibles, mais présents dans une dimension parallèle, les arcanes flottent au-dessus de nos têtes, prêts à l’interaction. Ils peuvent répondre à n’importe quelle question, mais pas n’importe comment. À l’occasion d’un nouveau séminaire dédié à l’apprentissage du Tarot, qui commence très bientôt, Tarot divinatoire | Ecole Maud Kristen
j’ai envie de vous parler des précautions à prendre lorsque vous les interrogez.
Lorsque j’ai acheté mon premier Tarot de Marseille, j’ai essayé d’utiliser le livret qui l’accompagnait. Succinct et théorique, il donnait des lames des significations abstraites et ambiguës. Impossible de les décliner pour comprendre la réponse à une question concrète.
Alors, j’ai essayé de regarder les cartes pour les décrypter. Cela n’a pas été facile d’autant que mon impression première était : « Comme elles sont laides » !
C’est leur première ruse pour décourager l’importun. Personne n’échappant au piège de la projection psychologique, j’y ai succombé. Je vous passe mes sympathies et mes antipathies pour les arcanes, ce que naïvement je croyais percevoir. Comment ne pas être noyé par des sentiments contradictoires, captivé par une sensation d’évidence mais aussi de dissimulation ? Comment ne pas être submergé par une impression de disgrâce et d’harmonie conjuguées, en observant le costume théâtral du Chariot,
la nudité crue des personnages du Jugement, l’expression morne de la Justice ou encore les animaux hybrides et habillés comme ceux de la Roue de fortune
Et enfin, comment intégrer cette abondance de détails incompréhensibles comme le sourire engageant de ce garçon décapité qui sombre dans la boue noire de l’arcane sans nom avec sa couronne bien droite plantée sur la tête ?
Les lames du tarot commencent par agir de cette façon, cela fait partie du rite : plus on tente de les deviner, plus c’est avec soi-même que l’on parle.
Une synchronicité m’a évité de poursuivre dans cette direction. Je venais de recevoir la lettre d’un ami dont la dernière phrase était : « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ».
En reposant la lettre sur la table où mes 22 lames majeures trônaient retournées, j’ai vu qu’elle touchait justement le bassin de l’arcane XVIII : La Lune, symbole – entre autres – de l’instabilité et de l’illusion.
Avec chaque arcane, vous passerez, vous aussi, par ce stade inévitable. Il deviendra pour vous comme un(e) amoureux(se) ou un membre de votre famille : vous allez l’adorer, le détester, le craindre… Vous attendrez de lui ce qu’il ne peut pas vous donner et refuserez ce qu’il pourrait vous apporter. Méfiez-vous de la puissance évocatrice des cartes : chaque arcane est une surface projective aussi puissante que les taches d’encre d’un test de Rorschach.
Les lames provoquent en nous des associations affectives dont nous devons prendre conscience. Les cartes – comme les mots – ont un sens précis, dont nos expériences ne doivent pas décider. Ce qui compte, c’est ce que la carte représente, pas ce qu’elle représente pour nous. Personne ne pourrait défendre l’idée selon laquelle le mot « voiture » prendrait le sens « d’accident », parce que c’est qu’il évoque pour vous. Vous ne diriez plus « j’ai eu un accident en tombant d’une échelle » mais « j’ai eu une voiture en tombant d’une échelle ». Absurde n’est-ce pas ?
C’est la raison pour laquelle j’ai mis au point une méthode pour permettre à mes élèves de « rencontrer » chaque lame de manière à prendre conscience de leurs projections psychologiques et pouvoir ensuite étudier le sens véritable de chaque arcane.
Comment choisir son Tarot ?
Le Tarot a une origine qui ne le limite pas à ses images, nous en parlerons. Cela signifie que si chaque arcane a un sens précis, il peut être représenté de diverses façons. Un peu comme une peinture religieuse. Il y a des milliers de façons de peindre un saint chrétien. Si certains de ses attributs seront présents dans l’œuvre – comme le bâton de saint Christophe – la technique employée, les couleurs, les différences culturelles et l’époque pourront donner lieu à toutes sortes de représentations. Ces expressions différentes ne changeront rien à l’histoire de saint Christophe, à ce qu’il évoque pour les fidèles, ni à ce qu’ils pourront lui demander dans leur prière. Personne ne dira : « Le bâton n’est pas assez long la prière ne sera pas entendue ». Choisissez donc un Tarot parce qu’il vous attire.
Mais avec certaines réserves toutefois : j’étais arrivée à penser que les différentes expressions du Tarot étaient comme des polices d’écriture : peu importait leur forme, elle ne pouvait changer le sens du texte. En enseignant, j’ai découvert que l’égrégore du Tarot ne pouvait pas s’approcher d’une version créée par un illustrateur maltraitant ou ignorant. C’est le cas de certains Tarots bricolés à la dernière minute – souvent par des journaux – pour être offerts en cadeaux à leurs lecteurs. Ils peinent à dissimuler le mépris du dessinateur pressé et peu concerné. Mes élèves qui les utilisaient par habitude n’arrivaient pas à progresser. J’ai compris que les cartes de Tarot devaient être créées avec une sorte de foi pour traduire une volonté « d’accueil » respectueux envers les 22 arcanes. Peu importait l’humilité du dessin, seule l’intention et l’effort comptait.
Un jour où j’avais oublié le mien durant un voyage, j’ai fabriqué 22 arcanes avec l’emballage d’une boîte de biscottes en écrivant seulement leur nom et leur numéro sur le carton. Je les ai réalisés avec les moyens du bord, mais en m’appliquant. Le Tarot Biscotte a marché et m’a prédit un retour de vacances compliqué… Que dire des 5 heures passées dans des bouchons causés par un carambolage le jour du départ ?
La fabrication d’un Tarot peut être une aventure initiatique, comme pour Thomas Perino qui vient de passer cinq ans à dessiner et graver le sien (2)
C’est très facile de choisir son jeu de Tarot car il en existe de magnifiques, comme ceux présentés dans la bible de Jessica Hundley, publiée chez Taschen en 2020, qui propose plus de 500 cartes et œuvres originales.
© Taschen 2020 Le Tarot de l’Eden, Alika Lindbergh et Maud Kristen, page 145
Pour ma part, et en 35 ans, j’ai utilisé tous les Tarots possibles : Le Marseille, bien sûr, mais aussi le Visconti avec ses visages couleur ivoire mystérieusement éclairés de l’intérieur, qui semblent émerger de leur dorure sombre, telle l’Ophélie peinte par Millais dans son étang.
Mais aussi le Tarot d’Aleister Crowley dont les lames holographiques se dressent au milieu de perspectives vertigineuses
J’aime aussi le très seventies Aquarian Tarot dont les arcanes Art déco ont la douceur contenue des couleurs automnales.
Un jour j’ai eu la chance de cocréer mon propre jeu, Le Tarot de L’Eden (3) avec lequel je travaille, même si j’utilise aussi le Marseille, le Visconti – et beaucoup d’autres – lorsque j’enseigne.
Choisir son Tarot avec son sixième sens ?
Avant le Tarot de l’Eden, je me suis demandé si mes affinités esthétiques pour un Tarot ou pour un autre n’étaient pas un biais, puisque ce n’était pas avec mes yeux physiques que je choisissais les lames que je tirais. J’ai donc décidé de laisser mon sixième sens trancher et choisir le Tarot qu’il préférait.
J’ai caché deux lames identiques – par exemple L’Impératrice – issues de jeux différents – dans des enveloppes distinctes. Puis, j’ai suivi un protocole pour devenir consciente de ce que chaque illustration provoquait en moi. Surprise ! Certains « beaux » Tarots ne résistèrent pas à ce test. Pas besoin d’acheter plusieurs jeux : imprimer une lame trouvée sur le net suffit pour réaliser l’expérience. À l’époque, en éliminant ces jeux parasites, je me suis aussi débarrassée de certaines tensions physiques ou d’inconforts émotionnels. J’enseigne aujourd’hui cette technique et les élèves m’ont confirmé avoir connu la même surprise et la même libération : les tarots choisis pour leur apparence ne seraient pas les plus inspirants.
Comment se souvenir des réponses du Tarot ?
Mon coup de foudre pour le Tarot n’a pas été intellectuel, mais métaphysique. Devenu familier, il a transformé à jamais ma perception de la réalité. Il m’a permis de découvrir que tout ce qui finirait par se produire – ou non – dans le monde de la matière était précédé par un double invisible. Pendant des années, j’ai noté tous mes tirages personnels. Cela représente des centaines de pages toujours disposées de la même façon : à gauche la question accompagnée du tirage qui en représentait l’évolution, à droite ce qui avait fini par arriver. Cette démarche m’a permis d’affiner le sens de certains arcanes appris dans des ouvrages traditionnels, mais aussi de repérer les erreurs à éviter. La pratique divinatoire du Tarot est un espace de confrontation entre la théorie et la vie. Le Tarot ne permet pas de changer le monde, mais comme le dit Thomas Perino de le prendre en main. C’est la raison pour laquelle, fin septembre, dans le cadre de mon nouveau séminaire, je choisirai une fois encore de travailler sur des questions quotidiennes pour apprendre à mes élèves comment évaluer la possibilité de réalisation d’une question, ou décider du meilleur choix possible Séminaire Tarot divinatoire | Ecole Maud Kristen
En notant vos tirages et vos interprétations, vous échapperez à cette mauvaise habitude qui consiste à faire des analyses éclair « au premier regard ».
Elles sont souvent épidermiques et superficielles. Angoissantes. Surtout lorsque la réponse est négative et qu’elle reste dans votre mémoire comme un message téléphonique effacé par mégarde… Mais que voulait dire cette carte à cette place ? C’est confronté à cette situation que vous risquez de faire quelque chose qu’il faut éviter absolument : Poser la même question plusieurs fois de suite !
Le Tarot est un maître qui ne parle qu’une fois. Inutile de lui répéter votre question deux fois coup sur coup, sans délai. Je dis deux fois, mais nous savons, vous et moi, que vous la lui poserez une dizaine de fois en trois jours si elle vous inquiète.
J’ai dû remplir quelques cahiers de tirages expérimentaux avant de découvrir combien de jours devaient s’écouler entre deux tirages sur un même thème. C’est la raison pour laquelle je vous conseille de poser des questions complémentaires, en lien avec la première. Elles devront être formulées de manière à vous donner une vision panoramique de la situation. Mais ne tentez jamais d’asservir le Tarot en l’interrogeant jusqu’à obtenir la réponse espérée : vous abîmeriez le lien qui vous relie à lui.
N’interrogez pas le Tarot dans n’importe quelles circonstances.
L’égrégore du Tarot est comme un oiseau céleste qui a peur du vacarme que font les émotions dans votre corps énergétique : la peur ou le désir, lorsqu’ils vous traversent, forment un épais bouclier à travers lequel il ne pourra plus « passer » : le tirage que vous obtiendrez traduira seulement vos craintes ou vos illusions, pas la réponse juste qu’il aurait pu vous donner.
Si vous devez lui poser une question importante, n’hésitez pas à allumer une bougie.
Fixez sa flamme et dirigez votre attention sur votre respiration. Interrogez les cartes seulement lorsque vous sentirez le calme revenu.
Pour dialoguer avec les arcanes, il faudra leur ouvrir votre cœur. Contrairement à une idée répandue, il ne peut pas exister d’usage ludique du Tarot.
Lorsque vous vivrez avec lui au quotidien, que votre sixième sens sera relié à ses lames, vous n’aurez plus aucun doute sur la valeur de ses réponses. Vous trouverez alors aussi naturel de le consulter que d’utiliser un GPS. À ce moment-là, vous comprendrez que les questions du type « Tu n’as pas peur que cela t’influence ? » découlent d’une représentation erronée selon laquelle Le Tarot vous désorienterait.
Votre œil physique vous influence-t-il lorsque vous roulez en voiture ? Comme la réponse est « oui », devriez-vous fermer les yeux en conduisant pour préserver votre libre arbitre ? Pourquoi devriez-vous faire confiance à vos sens physiques – qui eux aussi peuvent se tromper – et pas également à votre sixième sens ?
Si une accoutumance existe, elle n’a pas grand-chose à voir avec la divination. Elle consiste à multiplier les tirages compulsifs jusqu’à l’obtention du scénario désiré. Il s’agit alors de faire exister, dans une dimension parallèle, quelque chose ou quelqu’un qui est douloureusement absent(e) dans la réalité. Si votre ex est parti(e), rien de plus efficace, pour garder espoir, que d’interroger les cartes jusqu’à ce qu’elles prédisent son retour…
Si, pour une raison ou une autre, vous avez besoin de « croire » en l’issue heureuse d’une question, rien ne vous oblige à interroger le Tarot. Mais ne tentez pas de le forcer pour éviter un deuil nécessaire.
Un autre danger – qui vient avec la pratique – consiste à prendre le pouvoir sur les autres, parfois avec de bonnes intentions, en leur imposant des révélations sans qu’ils ne les aient souhaitées. C’est la raison pour laquelle j’ai créé une charte de bonne conduite, destinée à mes élèves, que j’ai envie, aujourd’hui, de partager avec tous La Charte de bonne conduite | Ecole Maud Kristen
Les livres grâce auxquels j’ai étudié le sens des arcanes étaient ceux d’Éliphas Lévi, de Court de Gébelin
de Papus – l’auteur du Tarot des Bohémiens ou d’Oswald Wirth. Je savais que ces auteurs prêtaient au Tarot des origines biblique, alchimique ou kabbalistique mais que ces récits appartenaient davantage à l’univers du mythe qu’à celui de l’histoire.
Pour la majorité des historiens, le tarot, simple jeu de carte, n’avait rien de magique. Apparu en Italie au milieu du XVe siècle, il s’était diffusé en France et en Suisse aux XVIe et XVIIe siècles à cause des guerres d’Italie, avant d’atteindre son âge d’or au XVIIIe siècle, période durant laquelle il était devenu de plus en plus populaire non seulement en Italie mais aussi en Sicile, en Belgique et en France.
Pour ces auteurs, la présence d’allégories chrétiennes dans les arcanes reflétait simplement la culture populaire déjà présente dans l’iconographie du Moyen Âge et de la Renaissance. Quant aux dessins de certaines lames – comme la Lune ou le Soleil – ils seraient la vulgarisation des connaissances astronomiques de l’époque. (4)
Quant aux théories qui, à partir du XIXe siècle, prétendaient donner au Tarot une valeur initiatique et ésotérique, elles n’avaient aucun fondement. Si elles avaient réussi à s’imposer au grand public, c’était à la faveur d’une rencontre avec le mouvement de contre-culture des années 1960.
À leurs yeux le Tarot n’était donc qu’un simple jeu de cartes « succesfull ».
Mais qui se cache derrière les 22 arcanes majeurs du Tarot : rencontre avec son papa…
Pour ma part, lorsque je pensais à l’origine des arcanes majeurs, j’avais une intuition. Comme Thomas Perino, j’imaginais qu’il fallait chercher le modèle absolu du Tarot dans le monde des idées. (5) C’est pour cette raison qu’aucune des démonstrations habituelles ne m’avait convaincue jusqu’à la découverte du travail extraordinaire d’un chercheur nommé Christophe Poncet. Découvrant le Tarot en 1982, il avait classiquement tenté de l’observer pour en comprendre le sens. Conscient que le code de signification des images variait suivant les lieux et les époques, il comprit que seule la connaissance de la date et du lieu de création du Tarot pourrait rendre possible son décryptage.
Pour découvrir ces deux éléments, il observa les vêtements portés par des arcanes du Tarot de Nicolas Conver – qu’il considérait comme le plus ancien à sa disposition- et les compara aux œuvres d’art de la Renaissance italienne. Il découvrit qu’ils correspondaient à ceux portés dans les villes d’Italie du Nord et d’Italie centrale dans le dernier quart du XVe siècle, notamment à Milan et Florence. Cette trouvaille le mena jusqu’à Marsile Ficin un des philosophes humanistes les plus influents de la renaissance.
L’enquête méthodique menée pour arriver à cette conclusion est particulièrement convaincante.
Tout à la fois prêtre et astrologue, passionné d’hermétisme et d’alchimie, directeur de l’académie néoplatonicienne, le philosophe Florentin aurait probablement terminé sur le bûcher sans la protection de Cosme de Médicis et de Laurent le Magnifique.
Comme sa pensée mêlait les idées religieuses et philosophiques de l’antiquité et le christianisme, il eut l’idée géniale, pour échapper à une accusation d’hérésie, de la dissimuler derrière les vingt-deux atouts du tarot. Dans la prolongation de la tradition antique et médiévale de l’art de la mémoire, (6) les 22 lames majeures auraient servi, d’outil pédagogique aux étudiants de Ficin à moins que chaque arcane n’ait constitué une énigme savante à résoudre grâce à la pensée platonicienne.
Christophe Poncet n’est pas arrivé à cette conclusion sans arguments. Il a examiné les atouts avant de constater que plusieurs d’entre eux présentaient de fortes ressemblances avec les grands mythes de Platon : la caverne, le char de l’âme, le mythe d’Er, etc. C’est la raison pour laquelle il a entrepris d’étudier les écrits de Ficin et ainsi fait une incroyable découverte…
Ficin, en commentant les mythes de Platon n’avait pas été fidèle au texte original mais l’avait modifié en y incluant des influences astrologiques, mythiques et magiques. Dans un des commentaires de Platon évoquant le char de l’âme, il avait enrichi l’image d’éléments qui ne figurent pas dans le texte grec original, mais que nous retrouvons sur la carte du Chariot, l’arcane n° VII du Tarot.
Il écrit par exemple que la tête du conducteur est à la fois une et dédoublée. Et que pouvons-nous observer sur la carte du chariot ?
On voit justement deux masques sur les épaules du conducteur, dans le prolongement de la tête, comme si celle-ci se dédoublait !
Aucun doute : ces libertés avec le texte original ne peuvent être que la signature de Ficin.
Cette théorie est magnifiquement développée dans le documentaire « Les Mystères du Tarot de Marseille » (7) un film réalisé par Christophe Poncet et Philippe Truffaut. A travers un périple entre Paris Berlin et Florence, nous découvrons des lieux magiques qui abritent des trésors de la Renaissance italienne et de l’Antiquité grecque. Mais le moment clef du film se déroule en Hongrie, dans les profondeurs du château d’Esztergom alors que Zsuzsanna Wierdl, qui restaure une fresque botticellienne que l’on croyait disparue, reconnaît dans l’arcane XIV, Tempérance, une œuvre de Botticelli.
Le documentaire se termine par une nouvelle hypothèse sur la structure du Tarot qui fera grincer les dents des adeptes d’une aventure initiatique censée se dérouler de manière chronologique en suivant la numérotation des 22 arcanes. Pour ma part, cette version ne m’avait jamais convaincue. Malgré la cohérence du récit, j’ai expérimenté qu’il n’était pas le seul possible en plaçant les 22 arcanes dans des ordres différents.
Je partage ici la démonstration de la disposition des arcanes majeurs selon un texte du Philosophe Florentin, sachant que Christophe Poncet, modeste, explique qu’il devra avoir terminé l’exégèse des 22 lames avant de s’assurer de la justesse son hypothèse…
… Et c’est pour bientôt !
La clef de l’ordre des lames serait cachée dans un passage d’un texte d’inspiration astrologique et numérologique (8) demeuré inexpliqué jusqu’à ce jour, qui présente l’âme sous la forme d’un tableau comportant 7 colonnes, une par astres connus à l’époque et comprenant trois niveaux : le céleste, l’intermédiaire et le terrestre. Les indications fournies par ce texte permettraient de placer chacun des arcanes du Tarot de Marseille dans chacune des 21 cases du tableau. Ficin se serait amusé à décrire comme une énigme la structure du jeu qu’il avait inventé ou dont il aurait été l’inspirateur en précisant que ces trois séries commencent par 3 multiples de 7. Les sept colonnes se présenteraient ainsi :
De gauche à droite la colonne de Jupiter, de Mars, de Vénus, puis les colonnes du Soleil et de la Lune qui se liraient ensemble suivies de celle de Mercure et enfin de Saturne.
Voici ce que propose Christophe Poncet au sujet de leurs signification :
« Celle de Jupiter, avec sa progression de bas en haut : c’est l’ascension de l’âme. En bas, le Chariot, numéro 7, qui représente le véhicule terrestre (Vehiculum Terrenum VT) de l’âme, c’est-à-dire l’âme incarnée. Au milieu la Tempérance, numéro 14 (=2×7) qui représente l’âme intermédiaire entre le terrestre et le divin. Elle a les pieds sur terre tout en ayant des ailes et harmonise le céleste avec le terrestre. En haut le Monde, numéro 21 (=3×7), l’âme en tant que quintessence céleste qui gouverne les quatre éléments. Dans la colonne suivante, celle de Mars, la progression est, inversement, de haut en bas, selon trois multiples de 5 : c’est la chute de l’homme – jusqu’à l’enfer – quand il se laisse entraîner par son destin. En haut, le Pape, numéro 5 ; au milieu la Roue de Fortune, numéro 10 (=2×5) ; en bas le Diable, numéro 15 (=3×5). La troisième colonne est toute féminine, comme il sied à Vénus. En haut la Papesse est la Vénus céleste, c’est-à-dire l’intelligence, au niveau intermédiaire, l’Étoile est la Vénus vulgaire, c’est-à-dire la Nature ; toutes deux se retrouvent en bas, de part et d’autre du jeune homme invité à choisir entre elles. Élira-t-il la Sagesse ou le Plaisir ? Les quatrièmes et cinquièmes colonnes se lisent mieux ensemble. En haut le couple Impératrice/Empereur marque l’opposition entre action et réaction, comme au milieu la Lune reflète la lumière du Soleil et comme en bas la puissance active de la Force contraste avec la puissance contemplative de l’Hermite. Observez comme les chevelures sont toutes dorées dans la colonne solaire alors qu’elles sont bleutées dans la colonne lunaire. Comme le jour s’oppose à la nuit. Dans la colonne de Mercure, tout est question de langage, avec le Bateleur en haut, c’est le verbe créateur, au milieu le Pendu représente la parole non tenue du renégat, en bas la Maison Dieu évoque Babel et la confusion des langues. Dans la colonne de Saturne, planète lointaine et pesante, sont exposées les grandes questions eschatologiques. En haut, La Justice, c’est la Justice divine, encore appelée Anankè ou Providence. En-dessous d’elle, le Jugement rend à chacun son dû. En bas, deux cartes pour un seul mystère. Deux cartes qui vont ensemble, l’une, qui porte le numéro XIII mais pas de nom ; l’autre qui porte le nom de Mat mais pas de numéro. L’une montre cet éternel recyclage qu’est la mort physique, l’autre présente la folle condition de l’âme incarcérée dans le tombeau de son corps, en attendant sa libération et le retour à Dieu. Deux faces d’une même réalité : l’âme immortelle dans un corps mortel.
Un homme, astrologue et poète, s’était douté de quelque chose. Il s’appelait Jean Carteret et semblait conscient du type d’intelligence qui se cachait derrière le Tarot.
Cet éveilleur (10), qui préférait parler à écrire, disait à propos de sa structure :
« La création a trouvé là le moyen de passer à travers la créature (la créature, ce sont ceux qui ont fait le Tarot) pour arriver à se manifester, à avoir vraiment en image ce que nous ne voyons pas du tout dans la réalité et qui nous présente une quantité de choses dont nous ne voyons plus les principes. En somme, c’est une révélation de principes, c’est un temple. »
La philosophie platonicienne n’attribue-t-elle pas une valeur suprême aux « idées » ou aux « essences », modèles supérieurs dotés d’une existence propre et indépendants du monde matériel ?
Une chose est certaine : grâce au travail de Titan de Christophe Poncet, à sa patience et à sa détermination, le Tarot de Marseille a enfin retrouvé son papa…
Et, comme dans toute reconnaissance de paternité posthume, espérons qu’il finira par porter son nom…
Les joueurs de cartes du XVIIe siècle, qui ignoraient l’existence du philosophe florentin, auraient modifié le « Tarot de Marsile » -ou de Marsilius- en « Tarot de Marseille », confondant ainsi sa ville de production avec son auteur disparu…
Quoi qu’il en soit, Le Tarot ne pourra plus jamais être considéré comme une simple série d’images dessinées sur des cartes à jouer : il est en train de devenir un livre.
Peut-être un des plus passionnants jamais écrits…
En attendant sa parution prochaine, nous pouvons suivre l’évolution du travail de Christophe Poncet sur son site internet.
Je vous attends avec grand plaisir pour le prochain séminaire Tarot !
Ecole Maud Kristen | Ecole du 6ème sens
Maud Kristen
NOTES
(1) Dior, défilé collection printemps-été 2021.
(2) Le Tarot Perino, un film de Warren Lambert (2020).
(3) Le Tarot de l’Eden n’est pas disponible actuellement. Pour être tenu informé prioritairement de sa réédition, inscrivez-vous à notre newsletter.
(4) Thierry DEPAULIS, « TAROT », Encyclopædia Universalis.
(5) « Il n’y a pas de Tarot originel, explique Thomas Perino. C’est-à-dire que même le Tarot des Visconti, on dit que c’est le premier, mais parce que c’est le premier qu’on a en main. On est dans la mécanique d’un objet qui n’existe que par sa reproduction, et pourtant à chaque fois il est différent. Le modèle absolu, il est à chercher dans le monde des idées. »
(6) « Des mystères de l’Art de la mémoire aux mystères de la sémiotique » Emmanuelle Caccamo 2015
(7) Les mystères du Tarot de Marseille, Philippe Truffault, Christophe Poncet, Arte 2015. À découvrir sur Arte ou sur YouTube.
(8) De harmonica animae compositione, dans le Compendium de Marsile Ficin sur le Timée de Platon, chapitre 34.
(9) « Je ne suis pas un homme savant ou érudit. Je ne sais pas enseigner. Je suis un éveilleur »
Jean François Maillard, Jean Carteret, Politica Hermetica N°2 1988
(10) Revue Question de No 37. Juillet-Août 1980